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Rabelais et l'île de la Dive
7 février 2021

Janequin à Luçon

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En lisant des commentaires de textes de François Rabelais, j’ai remarqué la présence à Luçon de Clément Janequin, l’un des musiciens les plus importants du XVIe siècle. Le beau seizième correspond à la première moitié de ce siècle, qui voit se développer l’imprimerie, les guerres d’Italie, mais aussi les prémices des guerres de religions. Janequin serait né en 1485 à Châtellerault et mort à Paris en 1558. Janequin comme Rabelais sont prêtres et restent au sein de l’église romaine malgré leurs caractères bien trempés. Janequin est considéré comme le maitre de la chanson polyphonique de l’époque. Il est encore largement joué et enregistré, vous pouvez très facilement écouter ses compositions, sur you tube.

Comme ce qu’a fait Janequin en 1507 à Luçon s’explique en quelques mots, je vais vous parler de querelles de pouvoir à Luçon, illustrées par des conflits au sein des tribunaux, tant civils que religieux.

Pour la musique, Rémy Arnaud au luth, Françoise Arnoux, Isabelle Charpentreau, Henri Chauveau et Louis-Marie Paquier vont interpréter quatre chansons de Janequin.

L’ensemble vocal « Clément Janequin » diffuse sa musique depuis 1978. Une interview de Dominique Visse son fondateur exprime parfaitement l’ambiance de l’époque :

 « Ce sont des chansons très hautes en couleur, et très riches du point de vue musical. Elles correspondent à une époque où les gens étaient libres de parler de tout, comme ils l’ont rarement été dans l’histoire. C’est l’époque du naturalisme : on représente l’homme tel qu’il est, comme il mange, comme il fait l’amour… Les mêmes musiciens peuvent composer des œuvres religieuses et des chansons érotiques. Tout ça s’arrêtera avec la Contre-Réforme, quand on codifiera ce qui doit être dit, ou pas. Le XVIe est un grand siècle musical et poétique, avec des auteurs comme Marot ou Ronsard. Notre travail, c’est de faire entendre leurs textes, alors que leur compréhension peut être brouillée par la complexité avec laquelle les voix se répondent et s’entremêlent. On peut faire ressortir plus particulièrement une voix. On articule beaucoup plus. On théâtralise les morceaux. On utilise plus de nuances. Jusqu’à jouer sur les onomatopées, à être à la limite du cri. On trouvait que notre répertoire sonnait bien comme ça. Plus tard, on est tombés sur une lettre de Josquin des Prés qui prouvait que c’était bien la façon dont on chantait ses compositions à l’époque, même si c’était pour s’en plaindre ! »

L’œuvre de Janequin est décrite comme chanson grivoise, souvent très rabelaisienne et qui se signale par sa vivacité.

Luçon au début du XVIe

Le monastère de Luçon a été créé au VIIe siècle par les moines de saint Philbert comme l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm. Érigé en évêché en 1317 par Jean XXII, en même temps que Maillezais, un proverbe du XVIe affirmait alors :

« Heureux ceux qui vivent en ville, sauf Sées, Maillezais et Luçon ».

Hormis le quartier des chanoines proches de la cathédrale, il y a encore à la renaissance un château fort, un port ouvert sur la mer et un quartier commerçant avec ses halles. Voyons ce que dit le guide des chemins de France :

Lusson ; là se peschent seiches, merluz, saulmons, alozes, marsouyns, et baleines. Dans la ville vient un bras de mer, procédant de la grand mer, qui est à une lieue et demie de là, et fait le chemin de l’isle de Rez.

Après les troubles des guerres de religions qui ont laissé la cathédrale abandonnée pendant trente ans, Richelieu lors de son arrivée en 1607 confirme la modestie de cet évêché crotté. Malgré cet avis très pénible à entendre, la compagnie des chanoines de Luçon n’est pas si pauvre que ça.

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Vous connaissez l’emblème du chapitre avec trois brochets.

La famille anglaise Lucy, porte aussi 3 brochets sur ses armes parlantes, car brochet se dit « lus » en anglo-normand. En latin, c’est Lucius, c’est pourquoi il illustre le blason du chapitre. La légende chrétienne de Lucius est racontée par Jean Bouchet dans ses Annales d’Aquitaine de 1524. C’est un ami de Rabelais, poète, écrivain et avoué de la famille de La Trémoille, seigneurs laïcs de Luçon. Voici le récit légendaire de la création de Luçon et de St Michel en l’herm.

Lucius, second fils de l’empereur Constance et de Ste Hélène tue par accident son frère ainé. Condamné à l’exil, il échoue à Luçon où il fonde un monastère auquel il donne son nom. Sa mère souhaite le revoir et navigue de Jérusalem où elle a découvert la Ste croix, vers Luçon. Une tempête survient et le naufrage a lieu devant st Michel en l’herm. Avant de repartir, elle laisse un moine avec les reliques de la croix sur place. Le peuple très nombreux vient y prier, le moine doit se retirer à la Dive et on retrouve les reliques du bois de la croix au 12e siècle.

Reste à comprendre les trois brochets : on peut évoquer un symbole de la trinité, mais le plus simple est de rappeler qu’en héraldique, l’écu est souvent partagé en trois parties dans le sens vertical comme horizontal.

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       Quel rapport avec la musique de Janequin ? Aucun, si ce n’est qu’on adorait jouer avec les mots à l’époque. Le Luth était aussi appelé luc et sa forme arrondie, le fait qu’il est joué près du corps et nous voilà à jouer du luc inversé. Le luth devient donc un objet érotique par anagramme. La présence du luth dans cette toile du Caravage destinée au cardinal Del-Monte n’est pas due au hasard.

Les moines sont sécularisés depuis 1469. Trente chanoines prébendés disposent de revenus très importants, issus des fermes du marais desséché. Le revenu du chapitre est supérieur à celui de Poitiers. Dès 1510, l’évêque a installé un imprimeur libraire nommé Jehan Clemenceau. La bibliothèque diocésaine comprend 80 volumes dont un livre de Luther. Luçon compte environ 2000 habitants.

 

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Dans ce grand théâtre observons les personnages importants en lien avec Luçon en 1507 :

            Le PAPE de 1507 est Giuliano de la Rovere connu sous le nom de Jules II, le pape guerrier. On lui doit le plafond de la chapelle sixtinCe. Il a succédé à Alexandre VI Borgia qu’il détestait. Jules II réussit au cours de son pontificat à éliminer César Borgia qui meurt en 1507. Si je vous parle de César c’est qu’il est en lien avec Luçon par son seigneur Louis II de la Trémoille.

Ce dernier est vainqueur des bretons à la bataille de Saint Aubin du Cormier en 1488. Louis de la Trémoille est vicomte de Thouars, prince de Talmont, seigneurs des Olonnes, des Sables, de la Chaume, de Luçon, de l’ile de Ré, de l’ile Bouchard, de Marans, Taillebourg et Amboise. La famille domine depuis la Loire jusqu’à la Gironde. Charles de la Trémoille, le fils unique, est tué à Marignan, et sa mère Gabrielle de Bourbon meurt de chagrin en 1516. Louis II devenu veuf, épouse l’année suivante la duchesse de Valentinois, une jeune femme de 40 ans sa cadette, fille de Charlotte d’Albret et de César Borgia. La dame de Luçon était donc petite fille de pape et fille de césar.

            Passons aux EVEQUES de Luçon et au doyen du CHAPITRE en ce début 16e

   

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Pierre de SACIERGES

En 1458 une transaction entre louis 1er de la Trémoille et l’évêque qui se partagent la seigneurie de Luçon a comme témoin « noble et puissant seigneur Amory d’Estissac, grand-oncle de Geoffroy d’Estissac futur évêque de Maillezais. Amaury est envoyé par Louis XI pour espionner son jeune frère Charles de France, duc de Guyenne et surtout grand comploteur. En 1469 est organisée une réconciliation à l’embouchure de la Sèvre niortaise, au pont du Braud. C’est la frontière de la Guyenne. Trois ans plus tard, Charles de France meurt, avec la dame de Montsoreau, après avoir gouté à une pêche empoisonnée. Un procès est intenté contre le roi Louis XI, mais les pièces de la procédure sont opportunément distraites par Pierre de Sacierges, greffier et secrétaire de l’évêque d’Angers, aux dires de Philippe de Commynes. Mais « La vertu triomphe de tout » comme l’indique la médaille qui nous montre son portrait.

Pierre de Sacierges deviendra le 17e évêque de Luçon en 1491.

Il fut successivement sous trois rois, diplômé in utroque juris (c’est à dire docteur en droit civil et droit canon), notaire et secrétaire du roi, conseiller au parlement de Paris, maitre de requêtes, sous-doyen de Saint Hilaire le Grand, chanoine de la cathédrale et abbé de Notre Dame la Grande à Poitiers, prieur de Château Larcher, abbé de la Grainetière, membre du grand conseil du roi, président du sénat de Milan en 1500, enfin évêque de Paris.

Le roi Charles VIII s’impose contre le doyen du chapitre et fait nommer Pierre de Sacierges évêque de Luçon. Les querelles entre le chapitre et son évêque vont durer tout au long de cet épiscopat. Cet évêque ne va d’ailleurs pas résider à Luçon, mais aux Moutiers sur le Lay, ou en Italie comme chancelier de Milan, et dans son château de Bourg Archambault dans la Vienne. Il meurt à Padoue en 1514.

 

MATHURIN DE DERCÉ

doyen du chapitre, est aussi élu évêque de Luçon en 1491 mais par les chanoines, il lui manque l’essentiel : l’accord du pape et du roi. Dès la mort de Louis XI, on pouvait déjà dire

“on devenait autrefois évêque par la grâce de Dieu ; aujourd’hui, il vaudrait mieux dire évêque par la grâce du roi”

Nous sommes sous le régime de la pragmatique sanction, qui devrait donner priorité à l’élection démocratique par le chapitre. Dercé est le doyen ou président du chapitre. Il est en concurrence avec un du Puy du fou lors de l’élection, qui est qualifié de Co-élu. Cette élection a fait l’objet d’un recours en justice civile, au parlement de Paris.  

Les critiques des avocats adverses portent sur la demande d’autorisation royale de procéder à une élection, c’est une grave désobéissance envers le souverain de l’oublier. L’absence d’une ou plusieurs des « solennités » ordonnées par le concile de Bâle : la confession, la messe du Saint-Esprit, la communion, le serment. Les élus assurent de leur côté y avoir complètement obéi.

La notion de saniorité peut troubler le simple calcul des voix. À Luçon, la collation portant sur les mérites et le zèle n’a pas été faite ; pourtant, elle aurait permis de comprendre que, bien que Mathurin de Dercé ait obtenu la majorité des voix, les électeurs de son co-élu, du Puy du Fou, « étaient les dignitaires de l’église », tous nobles et licenciés, et qu’ainsi, ils surpassaient par leurs qualités les électeurs de Dercé. 

Sur le nombre des électeurs, huit n’ont pas voix au chapitre ; quatre qui ne résidaient pas, et quatre qui étaient représentés par des procureurs. Dercé n’a plus que six voix sur treize.

Parmi ces six, deux sont excommuniés pour violence, dettes ou fréquentation d’autres excommuniés. Dercé n’aurait donc plus que quatre voix sur treize.

La simonie est aussi dénoncée par les avocats. Les intrigues portent essentiellement sur des échanges et des promesses de bénéfices.

 « promist Dercé a La Coussaye le doyenné de Luxon, il a baillé une cure, nommee Saint-Cibert, a son neveu et a promis à Boudeau et Voleau chacun une dignité quand le cas adviendrait ».

La connaissance indispensable de la Bible est signifiée par les deux cornes de la mitre épiscopale, symbolisant l’Ancien et le Nouveau Testament. Or Dercé ne semble pas assez diplômé et il n’est pas encore prêtre.

Pour devenir évêque, il est nécessaire de verser une provision à Rome et souvent le pape nomme le candidat qui a versé cette provision, à la condition d’être sûr et féal au roi, permettant une entente entre le pape et le roi. À Luçon en 1490, c’est toujours une période de guerre avec la Bretagne. Luçon est limitrophe de la Bretagne et de l’Angleterre rappelle le roi. 

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 Lancelot ou Ladislas DU FAU

est élu 18e évêque de Luçon par le chapitre en 1514. Il s’agit encore d’un chanoine, mais il a le soutien du roi. Descendant d’une bâtarde de Charles 1e de Bourbon, il avait exercé diverses missions diplomatiques en Italie, et il était avant son élection, abbé de Pleine Selve, chanoine à Luçon et à Saintes, protonotaire apostolique, vicaire général de l’archevêché de Bordeaux, président des enquêtes du parlement bordelais, chanoine à Saint André et Saint Seurin de Bordeaux. Lancelot du Fau meurt en 1523 et il est enterré dans sa cathédrale.

En août 1505, Clément Janequin, jeune clerc de vingt ans lui sert de témoin dans sa fonction d’abbé de Pleine Selve. De même le 5 septembre 1505 à Saintes et à nouveau en 1512 à Bordeaux. Clément suit partout Ladislas du Fau, son protecteur. Janequin est dit clericus soit étudiant en prêtrise en 1505, maître en 1512 et prêtre en 1528, année d’édition de ses premières œuvres par Attaingnant. Ses compositions les plus connues sont La GuerreLes cris de Paris, Le chant des oiseaux et La chasse. Nous allons commencer par écouter quelques secondes du chant des oiseaux...puis la chasse et sa meute de chiens.

L’édition musicale a commencé à Venise en 1501 et devient très à la mode avec les frottoles qui sont des œuvres profanes. Janequin est édité à Venise dès 1520. Il a composé une seule chanson en italien (si come il chiaro sole).

 La guerre chantée à quatre voix ne permet pas de comprendre le texte, mais le rythme des syllabes rappelle le rythme des tambours, on y entend les pas de chevaux, enfin les sonneries plus lentes illustrent la défaite des mercenaires suisses. Le nom de La Guerre a été transformé en « Bataille de Marignan » lorsqu’il a fallu faire oublier la défaite de Pavie.

Janequin est le premier musicien bruitiste. On a l'impression d'entendre, outre la musique, les sons présents à cette époque, comme si on avait pu les enregistrer, ça explose, ça craque, ça crie, ça entrechoque. Écoutons le pati patoc des pas des chevaux dans la bataille.

Janequin écrit aussi des motets, des basses danses et quelques messes.

Cette musique complexe, est en opposition avec la diffusion des psaumes, chantés simplement, sur des airs populaires, par les premiers protestants.

Pour vous signifier l’importance de la musique dans la religion, je vous rappelle que le père de Montfort a évangélisé le bas Poitou en utilisant des airs populaires qu’il associait à des cantiques de sa composition.

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Lancelot Du Fau est chanoine à Luçon mais aussi à Saintes. L’évêque de Saintes en 1505 est Raymond Perrault cardinal de Gurck. L’année suivante il offre à sa paroisse natale de Javarzay (chef boutonne) 115 reliques moquées par Rabelais dans la guerre picrocholine

«, que les uns, en fuyant, se vouaient  à sainct Jacques… les autres à ste nytouche...les aultres a sainct Jehan d' Angely, les autres à sainct Eutrope de Xainctes… aux reliques de Javarzay et mille autres petits saints»

Outre une vraie croix, un saint suaire, un morceau de la verge d’Aaron, du lait de la vierge, le plus précieux était le portrait de la vierge peinte par elle-même. Toutes ces reliques vont disparaitre lors des guerres de religions.

Le pape accordait parfois à des étrangers des bénéfices dans le royaume de France. Cette critique est reprise dans le préambule de la Pragmatique Sanction et vise avant tout les Italiens, « cupides » et « incapables » déplorant aussi la fuite des « finances » et le danger que les ennemis soient au courant des secrets du pays.

Sur proposition de Louis XII, Francesco Soderini, ambassadeur de Florence en France, devient cardinal sous Alexandre VI Borgia, puis administrateur du diocèse de Saintes en 1506, et il cède ce bénéfice à son neveu Giuliano en 1515. De l’oncle au neveu c’est un cas de népotisme commun à cette époque. Ce dernier se réfugie à Saintes pour éviter la colère des successeurs de Borgia. Jean de Médicis devenu Leon X, négocie avec le roi François1er le concordat de Bologne, qui consacre la supériorité du roi sur l’église pour les nominations des évêques et des abbés.

Les Soderini ont été des propagandistes zélés des rois de France en Italie. Comme partout, l’évêque de Saintes est contesté par les chanoines locaux. Francesco a l’excellente idée de nommer l’un d’eux grand vicaire : c’est Lancelot du Fau, le futur évêque de Luçon, qui connait bien l’Italie comme la bourgeoisie de Saintes. Giuliano Soderini son neveu et successeur va confier la gestion de ses biens à des Florentins, ce qui déclenche des rivalités avec les Saintais. Le palais épiscopal va être attaqué par deux fois en 1527 et 1532. L’évêque de Saintes ne sera ensuite qu’un figurant dans son diocèse. Giuliano meurt en 1544, et son corps est enterré dans la cathédrale Saint Pierre de Saintes.

 Je laisse la place à nos musiciens qui vont vous interpréter deux œuvres de Janequin (ce qui suit est un lien sur un site youtube)

j'attends le temps

va rossignol

 

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 FONCTIONNEMENT de la PSALLETTE

La psallette de la cathédrale est un reflet de la richesse du chapitre. Le chapitre cathédral entoure l’évêque, et son principal revenu est la seigneurie de Triaize.

L’entretien de cette école de musique est un luxe couteux. Une bulle du pape Sixte IV impose qu’une prébende serve « à la nourriture et à l’entretien, des élèves de la Psallette de Luçon ». « Le maitre de la psallette devait enseigner la musique, le plain-chant, la grammaire et le latin ». Le chapitre surveille la qualité de l’enseignement et la santé des huit enfants de chœur, qui s’engagent en général pour une dizaine d’années.

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            Les FAITS

On ne connaissait pas la vie de Clément Janequin à Luçon, jusqu’à ce qu’un article de 2016 de Nancy Hachem attire mon attention. Les traces d’un conflit qui oppose l’évêque de Luçon, au responsable de la psallette sont retrouvées dans le fonds du Parlement de Paris conservé aux Archives nationales. Cette pièce juridique apporte non seulement les éclairages les plus précoces sur la carrière de Janequin, mais révèle également certains aspects de sa personnalité qui semblent confirmer cette image de provocateurs et de chahuteurs, qu’ont les musiciens à cette époque.

Clément Janequin, en 1507, maître des enfants de chœur de la cathédrale de Luçon n’est pas encore prêtre mais clerc. Le crime le plus caractéristique d’un clerc, dit-on en ce temps-là, est de « chercher ribaude compagnie charnelle ».

Le document constitue l’appel du doyen du chapitre de Luçon, associé à Clément Janequin, interjeté contre l’évêque de Luçon, devant le Parlement de Paris, justice laïque. Le doyen ou président du chapitre de Luçon Mathurin de Dercé et Clément Janequin sont insatisfaits des conclusions des tribunaux ecclésiastiques à leur égard.

  Les plaidoiries      

Mary plaide pour Pierre de Sacierges, évêque de Luçon. Je plaide pour Clément Janequin et le chapitre.

"comment s’entend l’absence, assavoir si reputetur absens cum extra civitatem fuerit vel cum extra diocesim ; ainsy, à la cour seulle en appartient la connoissance et interpretation par le chapitre cum venissent de judi."

Je dois vous épargner ce charabia latin de tribunal qui se mélange au français, j’ai donc simplifié au maximum les textes qui suivent, comme le demande l’édit de 1539, signé par François 1er à Villers-Cotterêts dans le château si cher à notre président.

Plaidoirie pour les appelants Janequin et Dercé..

Les deux parties se déclarent compétentes pour punir et corriger les choristes. Après enquête, la punition des choristes appartient à l’évêque s’il est présent à Luçon, et en son absence au président du chapitre. Un nommé Clément Janequin maitre des enfants de ladite église, sous prétexte qu’il était diffamé d’immoralité, fut cité devant l’évêque. L’ayant entendu, après qu’il ait avoué, l’évêque lui commande sous peine d’excommunication, de s’abstenir de tous autres péchés de cette nature. Il lui ordonne des jeûnes comme pénitence. Janequin ne fait pas appel et promet de s’abstenir.

Néanmoins il est retombé dans son récent pêché, en fréquentant certaines femmes impudiques, qui plus est au moment des fêtes de Pâques. L’évêque étant absent de la ville, Janequin comparait devant le président du chapitre, à qui appartient la juridiction et correction dudit Janequin. Il confesse son cas, est excommunié par le président du chapitre, et privé de la maitrise des enfants. N’ayant pas fait appel, il est envoyé en prison pour trois semaines. Implorant le pardon, le président voyant sa contrition, le rétablit dans le vicariat mais pas dans ladite maitrise.

Bien qu’une même chose ne puisse être jugée deux fois, l’évêque, pour les mêmes délits, l’envoya citer, bien qu’il fût à Moutiers sur le Lay hors la ville de Luçon. Janequin absent ne peut comparaitre au jour de la citation. Pour cela il est réputé en fuite. Janequin revient à Luçon, il se présente au président du chapitre et demande l’absolution, mais le promoteur représentant l’évêque, fait appel. L’évêque revenu à Luçon fait appeler devant lui Janequin alors qu’il n’exerçait pas de pouvoir légal sur sa personne.

À cette cause les appelants ont appelé céans, pour conclure à un procédé abusif prononcé par l’évêque et demande de rembourser les dépenses, dommages et intérêts.

Plaidoirie pour l’évêque de Luçon Pierre de Sacierges

Je dis que Clément Janequin a mené une vie dissolue.

Après qu’il a confessé le cas, il est condamné à l’amende suivante : jeûner tous les vendredis durant un mois en pain et eau, défense sous peine d’excommunication, de ne plus converser avec lesdites femmes. Il n’a pas été fait appel.

Néanmoins depuis, Janequin les jours de jeudi, vendredi et samedi saint de Pâques et le lendemain, tient avec lui des femmes dissolues, couche avec elles, présent et voyant les enfants de chœur….

Ceci venant à la connaissance de l’évêque, il décerne citation à comparaitre contre Janequin. Au jour indiqué, Janequin est absent. Déclaré en fuite, il est excommunié et de nouveau cité pour faire son procès.

Le jour dit, il déclare qu’il a été poursuivi par le chapitre, qu’il en avait eu absolution, et qu’il en était puni.

Les parties sont conviées à entendre le droit religieux en une nouvelle audience. La sentence condamne Janequin à jeûner tous les vendredis pendant un an au pain et à l’eau, le suspend de ses bénéfices et offices, et le condamne à une amende pécuniaire, à donner à des œuvres pieuses.

Janequin fait appel à Bordeaux. Il est mis en prison et y demeure 10 jours. Après une demande de modération, les jeûnes sont confirmés jusqu’à Noel et il sort de prison. On lui renouvelle les interdictions, ce que Janequin accepte.

Mais depuis, en pensant rendre la sentence illusoire, il va susciter les appels. L’appel n’est pas recevable, car il vient d’un juge ecclésiastique, il ne vaut rien devant un juge laïc. L’évêque était, lors de la sentence du chapitre, au lieu de Moutiers, dedans son diocèse près de Luçon à 2 lieues, où il réside habituellement.

La sentence des parties adverses est abusive, car le président du chapitre n’agit qu’en qualité de vicaire de l’évêque. L’absolution donnée par quelqu’un qui n’est pas prêtre est nulle. Janequin ne fut pas mis en prison et corrigé, bien plus, le même jour, le doyen du chapitre lui pardonne tout, et pour toute pénitence on lui enjoint qu’il joue des orgues dans l’église. Je demande que l’appel soit déclaré nul, et de condamner aux dépens la partie adverse.

Réponse pour les appelants Mathurin de Dercé et Clement Janequin

Mon appel est recevable.Il faut l’interprétation de l’arrêt et comment s’entend l’absence en dehors de la ville, ou en dehors du diocèse. Seule la cour du parlement de paris a la connaissance, et peut l’interpréter.

L’appel est valable, car la qualité de vicaire a été mise aux actes précédents du procès. Janequin condamné par le chapitre, n’est pas absous, car la première condamnation est du 16 avril, et l’absolution du 1er mai. Pendant ce temps il est resté prisonnier.

A ce que le président n’était pas prêtre, je rappelle que l’excommunié peut être absout par qui en a juridiction, même non prêtre.

La cour verra ce plaidoyer, et rendra un arrêt sans contredits.

J’ai fini de me prendre pour Éric Dupont Moretti----------

- Le père Delhommeau avait retrouvé un procès du 15 mai 1509, « entre l’évêque de Luçon et le doyen de son Chapitre pour savoir, si ledit doyen se pouvait dire prélat en ladite église, en l’absence dudit évêque ». Rien sur Clément Janequin.

Le doyen du chapitre de Luçon profite donc de la moindre occasion pour se réapproprier une partie de pouvoir.

Ce type de conflit existe depuis le XIIIe siècle, quand certains chapitres avaient obtenu du Saint-Siège d’être exempts de la juridiction épiscopale, et avaient été soumis directement au pape. Ces exemptions ont donné lieu à des conflits nombreux qui n’ont cessé qu’après le concile de Trente, qui rendit sa liberté au pouvoir épiscopal.

Selon les dernières nouvelles de Rome lues dans Ouest France, le sujet du pouvoir des évêques est toujours d’actualité.

Après la MORT de lancelot DU FAU en 1523,

C’est Jean de Foix, archevêque de Bordeaux, qui protège Janequin devenu chanoine de Saint Émilion, procureur des âmes à Bordeaux c’est-à-dire chargé des messes anniversaires. Il est aussi en charge de la cure de Saint Michel de Rieufret, qu’il délègue à un vicaire comme toujours.

En 1526 François 1er revient de captivité, en laissant ses enfants otages en Espagne. Début avril il passe à Bordeaux, où son ami d’enfance, le maire Philippe de Chabot le reçoit dans le luxe. Chabot succède à son beau-frère Bertrand d’Estissac, frère de Geoffroy évêque de Maillezais. Le roi se dirige vers la cathédrale Saint André et à chaque carrefour retentissent chants et musiques. L’archevêque Jean de Foix, reçoit le roi à la porte de la cathédrale et le complimente.

Après la mort de Jean de Foix, en 1529, les charges de Janequin lui sont retirées et c’est un avocat au parlement de Bordeaux, Bernard de Lahet, d’origine basque, qui protège Janequin. Il devient diacre de Garosse et curé de Mézos.

Seconde entrée du roi à Bordeaux en 1530, après le mariage avec Eléonore et le retour des enfants de France. Même description de liesse du peuple car de nombreuses barriques sont mises en perce. Tout au long du parcours, on y joue des mystères qui sont des théâtres chrétiens et des musiciens accompagnent le cortège. On attribue la composition de « Chantons sonnez trompettes » à la présence de Clément Janequin à cet évènement.

Janequin confie toutes ses charges à un vicaire. Comme il est très procédurier, elles entrainent parfois des procès couteux. En bon disciple de Josquin des prés, Janequin se plaint que « Faute d’argent c’est douleur sans pareille » alors qu’il jouit d’un revenu de 350 livres tournois par an.

En 1531 il est maitre des enfants, à la cathédrale d’Auch, mais ce poste fut éphémère.

On le retrouve à Angers en 1534 ou réside son frère. Il est maitre des enfants de chœur de la cathédrale. En août 1548 il figure également sur un acte en tant que curé d'Unverre, en Eure-et-Loir.

Après des conflits avec son frère Simon, il s’installe à Paris en 1549, rue de la Sorbonne. On le suppose s’activant dans l’entourage du cardinal Jean III de Lorraine, de François de Guise ou d'autres notables fréquentant la cour. Il ne fera jamais partie des trois formations au service du roi : l’écurie, la chambre et la chapelle. En 1555, il réside rue neuve Saint-Sulpice et signe pourtant un acte comme « chantre ordinaire de la Chapelle du roi », occupation qui était sans doute honorifique car il avait déjà 70 ans.

Janequin meurt à Paris en 1558, après avoir rédigé un testament où il se dit « compositeur ordinaire en musique pour le roi », là encore un titre qui se rapporte plus à une dignité, qu’à un emploi réel.

Je laisse définitivement la place à nos musiciens qui vont vous interpréter deux nouvelles œuvres de Janequin.

 las si tu as plaisir

un compagnon joli (texte)

Un compagnon joli et en bon point
Ayant le corps et instrument de mise
Après souper dépouilla son pourpoint
puis les chausses et se mit en chemise.
L'hôtesse vint; le compagnon la prise,
Qui la troussa si dru et vivement
Qu'elle lui dit tout libéralement:
"Rien n'en paierez pourtant n'en dites mot.
"Ha! Grant merci", dit-il, "mon instrument.
C'est doncque vous qui payez mon écot".

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